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févr. 03, 2012

Remarques

 

Au passage à niveau,
je m’arrête de penser pour voir passer le train.
*
Bien que ma chambre soit une pièce tout à fait obscure,
je ferme les yeux pour dormir.
*
Quand je me gratte la tête sous un bonnet de laine,
le bonnet se déplace.

 

Nathalie Quintane

janv. 13, 2012

La longue course

QUARANTE ANS ET DES POUSSIERES

(ET QU’AVEZ-VOUS FAIT PENDANT TOUT CE TEMPS ?)

 

 

J’ai fait de la survie à l’arraché

en territoire familial accidenté.

J’ai fait de l’élevage de petits animaux.

J’ai fait des razzias passionnées sur les bibliothèques.

J’ai fait des cauchemars de nuit et des rêves de jour.

J’ai fait l’adulte trop tôt et l’enfant très tard.

J’ai fait le mort et j’ai fait l’ange, l’idiot aussi.

J’ai fait des études, assidûment,

et plusieurs métiers, sans traîner.

J’ai fait des dérapages et diverses tentatives de fuite.

J’ai fait des histoires, des blagues et des caprices.

J’ai fait des promesses pas tenues, des paris réussis,

des erreurs répétées, des détours passionnants.

J’ai fait de beaux gestes et des gestes aussi

que j’aimerais oublier.

J’ai fait ce que je pouvais, et parfois pas.

J’ai fait des poèmes, j’ai fait des romans.

J’ai fait trois fils, j’en ai le cœur content.

 

Francis Dannemark

janv. 11, 2012

Ciel et terre

Les nuages, cependant, lui offraient sans réticences leur variété. Ils avaient là un ciel entièrement libre à parcourir, entre la montagne et la mer, là-bas, moins d'une centaine de kilomètres vers l'est. La solitude leur convenait. Leur douce concentration cotonneuse se conciliait très bien avec des géométries exigeantes. Il pouvait reconnaître en eux à volonté des navires, des barques, des goélettes, des steamers, des yachts, des pirogues, des radeaux, des îles. Il rêvait avec eux de navigation, d'enchantements, d'aventures. Il embarquait sur leur pont, il traversait avec eux la Méditerranée du ciel. Il s'imaginait capitaine de nuages, mousse, corsaire stevensonien. Avec tout son équipage, brusquement, il abandonnait la Marie-Céleste dans les mers du Sud, s'éloignait en chaloupe, laissant le navire intact, la marmite de soupe encore chaude sur la table du mess ; mystère absolu, nuage.

Jacques Roubaud

 

déc. 26, 2011

On dirait (printemps des poètes/thème de l'enfance)

 
 
       

printemps des poètes.jpg

 
      on dirait
on dirait qu'il y a une maison ici et il y a des glaces ici
on dirait qu'on appuie sur le bouton
on dirait qu'il y a un ballon
on dirait qu'il y a une planète y a un oiseau y a un perroquet y a un éléphant
on dirait qu'il y a une fenêtre ici
on dirait qu'il y a un petit point
on dirait qu'il y a un oiseau et voilà j'ai tout expliqué
on dirait qu'il y a une hirondelle ici elle est tombée ici
on dirait qu'il y a un oiseau ici et il est tout petit
on dirait qu'il y a une chauve-souris ici
on dirait qu'il y a un ours oui ici ici on dirait qu'il va faire pas ça fait un petit poussin
parce qu'il va tirer la boule de moi il va faire pan dans ma boule il va tirer quand même
on dirait que on dirait que ah non il est pas là
on dirait qu'on nage peut-être
on dirait qu'il y a du bleu dans le ciel et du blanc et du rouge
on dirait qu'il y a une maison là on dirait qu'il y a des tomates là
on dirait que que que que comme ça taaaaac il a fait tac
tac comme ça tac tac tac
on dirait euh on dirait un oiseau rouge
on dirait qu'il y a des nuages on va voir je vois des felocalacalac
on dirait qu'il y a des tomates
on dirait qu'il y a elle est où la maison de de de de de pascale et bart
on dirait c'est où la maison de de de de de de marc
on dirait qu'il y a des pots de fleurs ffffff attends attends attends
marc marc marc...
on dirait la cloche de la dame de la cloche de la cloche de la madame de blanc elle danse la madame blanche
c'est la drôle de maison ici elle est ici
on dirait qu'il y a un oiseau
on dirait qu'il y a un bateau dans le ciel et qu'on part on dirait qu'on part qu'on quitte tout on dirait qu'on quitte tout on s'épouse au ciel on dirait la marie la mariée là dans le ciel là maintenant on dirait qu'il y a deux mariés blancs au ciel qui quittent tout quittent tout on dirait ça
non ?

Laurence Vielle

déc. 25, 2011

Jamais bien loin

L'odeur du café froid me ramène à d'anciens matins d'été, à des départs en vacances bien avant l'aube. On avait chargé la 203 la veille, les vélos étaient stockés dans la salle à manger pour trois semaines, maman s'affairait dans la cuisine, enveloppant les jambons-beurre, transvasant le café dans une bouteille thermos et un drôle de petit bidon en émail bleu. C'est elle qui barricadait la maison, enfermant derrière verrous et volets nos précieux sillages quotidiens des onze mois écoulés. Quand nous rentrerions, les horloges seraient arrêtées à une heure à jamais irratrapable, les pièces désertes et distantes, avec l'odeur de macanique huilée des vélos, et celle du café froid...

Jean-Louis Dubois

nov. 14, 2011

66, quatorzième verticale

L'abîme n'admet pas l'ordre,

le désordre non plus.

Et nous savons que tout est abîme.

 

Pourtant,

le jeu de la feuille et du vent

s'achève toujours à l'endroit le plus exact.

Et aucune feuille ne souille

le lieu où elle tombe.

 

Il se peut qu'une feuille ordonne

où peut-être désordonne

une autre face de l'univers

 

Roberto Juarroz

nov. 03, 2011

Abruption

La vie,

longtemps cette posture

et la distance comme une trace

dans l’eau des genoux.

Présent bas inclinant,

talonner le présent.

Comme et combien de temps

si l’on n’a point désespéré de soi.

Si ça été comme grinçant des dents.


À l’endroit de la carte

venir

de l’ancienne forme de venir.

Disparaître

sous le bord décollé.

Porte dehors,

lavée,

ne tenant rien

d’elle-même.

Les inquiétudes de sortie.

Ici, au pas,

une avance d’exil

se demande s’il y a

ou non

dispersion dans le vide.

Forme de vie humaine

en la tremblante du mouton.

Vieillir,

perdre la mâchoire comme on sait.

Comment le non déplace le renoncement.

Rien devenu

Tout

pour rien

le fort remous du labyrinthe.

Visage pour la langue,

cela se fait très vite :

trente-deux dents de terre

et de l’air pour carie.

Chemin pour un pilon,

jamais avec la jambe.

Grillage des mots.

Le dessous forme un cendrier. 

 

Patrick Wateau

oct. 17, 2011

Une histoire de bleu, âme

Ame.

On en peut le dire autrement.

Juste un mot rapide. Ouvrir très vite et refermer la bouche. Happer au vol un chiffon de bleu. Pour cela dont on ne sait rien. Sinon la question sourde. La demande obstinée. L'idée que pour ce silence-là aussi il faut un mot. Pour cette attente et ce souci. Donner un contour approximatif au chagrin, plutôt qu'un nom à l'espérance. Rien à gagner non plus qu'à perdre. Juste un trou de plus dans la langue. Un courant d'air. Un souffle frêle. Celui même qui nous tient en vie et qui nous sera retiré après que nous lui aurons appris quelques phrases. Après que nous aurons récité tout le lexique de l'amour. Seul bientôt avec ce mot-là. Fiévreux et bref. Orphelin de part en part. Un mot tel un couloir. On ne le murmure à personne ; il n'ose  pas nous venir aux lèvres. Il a peur de la langue autant que de la lumière du jour. Il n'a pas de paupières. Ses larmes ne coulent pas, mais sa douleur est précise. Elle fixe. Elle interroge et veut savoir. Elle s'use des visages. Elle cherche à se poser.

Jean-Michel Maulpoix

 

sept. 23, 2011

Exil

Celui qui erre, à la mi-nuit, sur les galeries de pierre pour estimer les titres d'une belle comète ; celui qui veille, entre deux guerres, à la pureté des grandes lentilles de cristal ; celui qui s'est levé avant le jour pour curer les fontaines, et c'est la fin des grandes épidémies [.. .], celui qui peint l'amer au front des plus hauts caps, celui qui marque d'une croix blanche la face des récifs ; celui qui lave d'un lait pauvre les grandes casemates d'ombre au pied des sémaphores, et c'est un lieu de cinéraire et de gravats pour la délectation du sage ; celui qui prend logement, pour la saison des pluies, avec les gens de pilotage et de bornage - chez le gardien d'un temple mort à bout de péninsule (et c'est sur un éperon de pierre gris-bleu, ou sur la haute table de grès rouge) ; celui qu'enchaîne, sur les cartes, la course close des cyclones ; pour qui s'éclairent, aux nuits d'hiver, les grandes pistes sidérales ; ou qui démêle en songe bien d'autres lois de transhumance et de dérivation ; celui qui quête, à bout de sonde, l'argile rouge des grands fonds pour modeler la face de son rêve ; celui qui s'offre, dans les ports à compenser les boussoles pour la marine de plaisance [...], celui qui règle, en temps de crise, le gardiennage des hauts paquebots mis sous scellés, à la boucle d'un fleuve couleur d'iode, de purin [...], ceux-là sont princes de l'exil et n'ont que faire de mon chant.

Saint-John Perse

 

 

 

sept. 22, 2011

L'aventure ambiguë

... Chaque heure qui passe apporte un supplément d'ignition au creuset où fusionne le monde. Nous n'avons pas eu le même passé, vous et nous, mais nous arons le même avenir, rigoureusement. L'ère des destinées singulières est révolue. Dans ce sens, la fin du monde est bien arrivée pour chacun de nous, car nul ne peut plus vivre de la seule préservaion de soi. Mais, de nos longs mûrissements multiples, il va naître un fils au monde. Le premier fils de la terre. L'unique aussi...

Cheikh Hamidou Kane

sept. 13, 2011

Va où

Si j'avais les jours à compter je marquerais soir après
soir mes petites croix de récompense
Je tiendrais des mois des saisons mon calendrier de
forçat mon agenda de pénélope
Ca me ferait ni chaud ni froid juillet janvier en
solitaire je traverserais les années
Si grand d'amour était en vue ou à revenir quel beau jour
je l'appellerais mon cher Ulysse et puis je choisirais
la danse plutôt que la tapisserie
Je bouserais les mauvais génies en faisant jazzer mon
seul coeur
Je mettrais le chagrin en boîte avec un jeu de mots facile
Je trangerais l'éternité pour en découdre avec les nuits
tchatchatchatcherais jusqu'au matin dans une autre
histoire aussi vrai si j'avais de quoi de l'espoir

Valérie Rouzeau, (Le Temps qu’il fait)

 

août 25, 2011

La chasse au Snark

... Ils le chassèrent avec des dés à coudre
ils le chassèrent avec passion
Ils le poursuivirent avec des fourchettes et de l'espoir
Ils menacèrent sa vie
avec une action de chemin de fer
Ils le charmèrent avec des sourires et du savon...

Lewis Carroll

 

lewiscarroll.jpg

 

août 22, 2011

Ilse Garnier (poètesse spatialiste)

Quelques poèmes Ilse_Garnier_Cavalcade.jpgIlse_Garnier_Cavalcde.jpgIlse_Garnier_Chant_du_Rossignol_Progression_du_silence.jpgIlse_Garnier_Le_blason_de_la_peste.jpg

août 14, 2011

Comme un roman

L'homme construit des maisons parce qu'il est vivant, mais il écrit des livres parce qu'il se sait mortel. Il habite en bande parce qu'il est grégaire, mais il lit parce qu'il se sait seul. Cette lecture lui est une compagnie qui ne prend la place d'aucune autre, mais qu'aucune autre compagnie ne saurait remplacer. Elle ne lui offre aucune explicaion définitive sur son destin mais tisse un réseau serré de connivences entre la vie et lui. Infimes et secrètes connivences qui disent le paradoxal bonheur de vivre alors même qu'elles éclairent l'absurdité tragique de la vie. En sorte que nos raisons de lire sont aussi étranges que nos raisons de vivre. Et nul n'est mandaté pour nous réclamer de comptes sur cette intimité-là...

Daniel Pennac