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mai 20, 2013

La maladie et la mort

"Vous devriez ne pas la connaître, l’avoir trouvée partout à la fois, dans un hôtel, dans une rue, dans un train, dans un bar, dans un livre, dans un film, en vous-même, en vous, en toi, au hasard de ton sexe dressé dans la nuit qui appelle où se mettre, où se débarrasser des pleurs qui le remplissent.
Vous pourriez l’avoir payée.
Vous auriez dit : Il faudrait venir chaque nuit pendant plusieurs jours.
Elle vous aurait regardé longtemps, et puis elle vous aurait dit que dans ce cas c’était cher.
Et puis elle demande : Vous voulez quoi ?
Vous dites que vous voulez essayer, tenter la chose, tenter connaître ça, vous habituer à ça, à ce corps, à ces seins, à ce parfum, à la beauté, à ce danger de mise au monde d’enfants que représente ce corps, à cette forme imberbe sans accidents musculaires ni de force, à ce visage, à cette peau nue, à cette coïncidence entre cette peau et la vie qu’elle recouvre.
Vous lui dites que vous voulez essayer, essayer plusieurs jours peut-être.
Peut-être plusieurs semaines.
Peut-être même pendant toute votre vie.
Elle demande : Essayer quoi ?
Vous dites D’aimer."


 Marguerite Duras

La nausée

... Exister, c’est être là, simplement ; les existants apparaissent, se laissent rencontrer, mais on ne peut jamais les déduire. Il y a des gens, je crois, qui ont compris ça. Seulement ils ont essayé de surmonter cette contingence en inventant un être nécessaire et cause de soi. Or aucun être nécessaire ne peut expliquer l’existence : la contingence n’est pas un faux-semblant, une apparence qu’on peut dissiper ; c’est l’absolu, par conséquent la gratuité parfaite. Tout est gratuit, ce jardin, cette ville et moi-même. Quand il arrive qu’on s’en rende compte, ça vous tourne le coeur et tout se met à flotter, comme l’autre soir, au Rendez-vous des Cheminots : voilà la Nausée ; voilà ce que les Salauds – ceux du Coteau Vert et les autres – essaient de se cacher avec leur idée de droit. Mais quel pauvre mensonge : personne n’a le droit ; ils sont entièrement gratuits, comme les autres hommes, ils n’arrivent pas à ne pas se sentir de trop. Et en eux-mêmes, secrètement, ils sont trop, c’est-à-dire amorphes et vagues, tristes...


 J.P. Sartre

mai 13, 2013

Epopopoèmémés

Je ne peux pas dire non

Je ne peux pas dire non aux sons du « merci » dit par Adonis hier matin à la fin d’un dialogue – plutôt monologue – sur France Culture :

Les sons sortent de sa bouche, parmi ses dents, comme des enfants en vacances, sortant parmi les lattes en bois espacées ou cassées d’une haie

Séparant des champs d’herbe, invitant à la découverte.

Je ne peux pas dire non au soleil que je sens en plein éclat ce matin même à Paris – j’ignore complètement la vraie météo

S’opposant au brouillard perlant de mon domicile fixe.

Je ne peux pas dire non à la multiplication des grives dans le jardin et alentour : six il y a une semaine, environ dix ce dernier week-end,

en voilà précisément vingt, tout à l’heure, dans un haut peuplier défeuillé, chez le voisin mort.

Je ne veux plus dire non à la lettre écrite et non-envoyée à Ryoko Sekiguchi – elle va partir aujourd’hui.

Je dis oui à ma propre nouvelle « Jamais l’automne ne fût plus beau » - qui m’a permis pendant les deux heures de son écriture de traverser des champs d’herbe dans le brouillard perlant, à la découverte du soleil, enfant sortant parmi les lattes espacées ou cassées d’une haie entre deux champs.

Je ne peux plus dire non à mon étalage médiatique : je vais faire montrer mon propre brouillard dans la journée lumineuse.

Stalker de mes jours, stalker de mes soirs, stalker de mes aubes.

Je ne peux plus dire non aux mots nés en exil, ni aux mots morts en exil :

Qu’ils viennent à moi, ces éternels enfants !

Ouvrons le cahier, le livre, le dictionnaire. Ouvrons pour que le cahier, le livre, le dictionnaire s’ouvrent !

Des mots et des vers – poèmes sans frontières.

Mon tour – le tour de moi-même – en 80 poèmes !

Titre : le tour de Sanda Voïca en quatre-vingt poèmes. Epopopoèmémés !

Je ne dis pas non aux mots morts – lettres vives quand je les ré-imagine.

J’ai soif de vers : je traverse mon champ d’herbe de ce matin et je vois des vers de terre :

Le brouillard est percé, la lumière inonde la clairière.

 

Sanda Voïca

avril 25, 2013

Saphir Antalgos


Le rêve m’a donné son nom, j’ai pris ça pour une révélation. J’ai failli tomber dans le panneau des mots. Car c’est cela la révélation : le rêve est un panneau. Le rêve est le panneau souple, le voile qui se déploie et s’étend sur le dormeur. Et ensuite, par une opération que je ne m’explique pas : il l’imprime. Ce que le rêve a révélé, c’est l’impression qu’il laisse. C’est tout. Je le sais mai...ntenant. Je suis un papier buvard. Absorbant tout. Au matin je me retrouve tâchée, auréolée de couleurs étranges, inavouables. Jusqu’où la couleur a remonté jusqu’à moi dans cette pollution nocturne, comme on peut voir la marque brune du marc sur le filtre à café du matin, jusque là s’est aventuré le rêve dans la nuit. Seulement le pied parfois, mais souvent jusqu’aux cuisses, jusqu’au sexe, jusqu’au coeur je me suis imbibée. On peut tout lire de moi dans ces couleurs du rêve absorbées. Je suis un papier bavard…
 
Cécile Portier

avril 23, 2013

Jusqu’à Faulkner

J’ai postulé, tôt et à tort, que l’explication figurait en toutes lettres aux pages d’un livre que rien ne recommandait à l’attention. Jusqu’à ce que je parte, à dix-sept ans, j’ai eu l’espoir qu’un ouvrage au titre insolite me dirait la nature véritable du lieu où nous vivions, à quoi tenaient les tristesses, la détresse, parfois, qu’il dispensait, d’où venait enfin que ça nous échappât, qu’on eût besoin de lui –du livre- pour être fixé à ce sujet

La vie nous échappe, même à ceux qui croient l’avoir comprise et l’ont écrit. Ce qui se passe est partout et toujours imperméable à ce qu’on pense. Nous ne sommes pas de force. Nos existences, dans leur apparente évidence, sont une énigme qu’il ne fut jamais au pouvoir de personne de résoudre, nulle part.

Pierre Bergounioux

févr. 05, 2013

Dedans

Le soleil se couchait à notre commencement et se lève à notre fin. Je suis née en Orient je suis morte à l'Occident. Le monde est petit et le temps est court. Je suis dedans. On dit que l'amour est aussi fort que la mort. Mais la mort est aussi forte que l'amour et je suis dedans. Et la vie est plus forte que la mort, et je suis dedans. Mais Dieu est plus fort que le vie et la mort. On dit que la vie et la mort sont au pouvoir de la langue. Dans mon jardin d'enfer les mots sont mes fous. Je suis assise sur un trône de feu et j'écoute ma langue.

Hélène Cixous

janv. 07, 2013

L'éponge des mots

Je n'ai pas découvert la route des îles ni inventé de formules, juste établi un lien entre le ciel et la nuit, près du feu où j'attendais que les braises se recouvrent d'un satin gris.

(...)

Il n'existe pas de différence entre l'oiseau des lunes accomplies et les nervures de la feuille transparente ivre de ciel blanc.

Said Mohamed

nov. 24, 2012

Relayage de l'information / Appel à manifester son soutien

Le printemps des poètes : "J'invite chaque ami, fan, compagnon ou camarade de cette page à chercher à la faire connaître, selon son but qui est de manifester son soutien au Printemps des poètes en faisant ce que les poètes doivent faire, publier des poèmes, sur Facebook (poèmes pour le printemps des poètes), par mail, vers les journaux ou tout organisme culturel concerné. Viva la Poésie et son Printemps !"

LOGOprintempsdespoèt2012.jpg

nov. 19, 2012

qui journal fait voyage

Je ne veux pas exister
Je ne peux pas exister
Je n'existe :
absolument pas

Je n'existe pas
c'est l'espace
Je n'existe pas
c'est la voix
Votre regard m'invente un corps
c'est votre regard qui m'existe

Je n'existe pas sauf :
dans la rencontre
Elle ne dépend pas que de moi
et ce n'est pas moi alors
mais la rencontre

C'est l'espace qui vibre à ma place
Les yeux créent le mouvement :
Mais je n'existe pas
ne peux et ne veux pas
J'admets ma révolte
ma désespérance
mais ne veux exister :
que ma disparition -

Edith Azam

oct. 15, 2012

Légende de celui-qui-n’a-pas-appris

 

tout l’aurait traversé      de derrière les yeux
avant, même : des histoires dont il connaît tous les débuts (il n’en sait rien) reprises reliées défaites ornées défaites bordées démenées

qui croire ? c’est pour ça qu’il est allé lui de l’autre côté de la ville près des camps où les visages se repèrent de trop loin : finis les souvenirs faciles on casse le son dur des frère et sœur qui s’ignorent on abandonne la poésie à ses comme ça

          les pièces tombées sur le capot réveillent l’enfant

(Hung et) François Rannou

sept. 06, 2012

Un peuple

Walt Whitman: vieil homme barbu, assis devant le fleuve, fatigué mais le regardant, regardant défiler devant lui tout, absolument tout, ce que charrie le fleuve. Face rubiconde, sourire jovial, on dirait qu’il a créé le monde et qu’il l’accepte, qu’il accepte toutes les brindilles de sa création et s’en réjouit, et que nous si on veut, on soit là aussi, et s’émerveille aussi, des choses qui passent, du grand défilé interminable. Ainsi le monde est ce passage. Aucun instinct de propriétaire, mais il distribue les choses aussitôt que créées, il les disperse: les reçoive qui pourra, les prenne qui veut dans la grande république égalitaire.


Walt Whitman: ne s’arrêtant pas à la question de savoir si un torse était poilu ou non, mais l’étreignant, lui aussi, sans cesse. De sorte qu’il est logique que son poème ne cesse pas, non plus. Tant l’étreinte est agréable, même de la mort (il le dit explicitement). Tant il est bon que cela dure. Tous les jeux de mots les plus vulgaires sont possibles, sur l’étreinte du monde et la sève qu’elle produit, à force de frictions, mais tous les jeux de mots sont vrais, acceptables. Son recueil tout entier, interminable, sans fin grossi, est la preuve de cette sève, est un moment qui continue du sperme, est la raison et le sens à l’ajout des poèmes. Whitman finalement, comme de ce côté-ci du monde Charles Baudelaire, invente un nouveau principe d’accumulation: la promenade parmi nous. Ce n’est pas le même réel bien sûr chez l’un et l’autre. Baudelaire est un poète encore vertical: il doit se défaire du vieux monde, il reste hanté par ce qui est indication de quintessence et de volatilité: parfums, odeurs, chevelures, nuages, quelque chose se promet dans cette indécision céleste, dans cette silhouette diffuse; il erre souvent en direction de cette promesse, il cherche souvent des trouées vers en haut ou parfois vers en bas afin d’exister dans diverses autres dimensions hypothétiques. Rarement il arpente les rues comme déjà arrivé, mais il le fait de plus en plus avec l’âge, de plus en plus il est ensemble. Whitman, au contraire, d’où ma proximité à lui, est un poète horizontal: il n’y a rien au-delà de ce qui est, tout le sens est à nos pieds, dans l’herbe foulée. Seulement, il faut aller voir plus loin, encore plus loin, car au bout de ces chemins-ci, il y aura sûrement d’autres chemins, et forcément d’autres visages, d’autres oiseaux, d’autres prénoms.
 
Stéphane Bouquet

août 29, 2012

Poèmes de la bombe atomique

...

Comment oublier cet éclair

en un instant 30 000 dans les rues disparaissent

au fond de ténèbres qui s’écrasent

les cris de 50 000 s’éteignent


fumées jaunes se dissipant en volutes

déchirés les bâtiments, effondrés les ponts

les trains ont brûlé bondés

infinis tas de tuiles de pierres restes calcinés de Hiroshima


bientôt des peaux comme chiffons usagés pendent

au bout de mains contre des poitrines

piétinant de la matière cérébrale écrasée

reins enveloppés de tissus brûlés

défilent des corps nus qui marchent en foule et pleurent


corps sur le champ de manoeuvres comme statuettes de

Jizo

la foule entassée au bord du fleuve rampant sur des

radeaux attachés là

sous le soleil brûlant se change au fil des heures en

cadavres

dans le flamboiement qui pénètre le ciel du soir

les endroits de la ville où mère et petit frère furent pris

vivants sous des décombres

se reflètent en brûlant


au milieu d’excréments sur le sol de l’arsenal

sont allongées des étudiantes rescapées

crânes dépouillés, moitiés de corps rouges écorchés,

yeux écrasés, ventres gonflés

en ce grouillement où on ne sait qui est qui je cherche

la lumière du matin

rien ne bouge plus

dans la pestilence stagnante

rien que bruits de mouches volant contre des bassines

en métal


comment oublier ce silence

qui occupait tout entière une ville de trois cent mille

habitants

comment oublier

dans ce calme

l’espoir dont s’emplissaient

à nous briser coeurs et âmes

les orbites blancs de femmes et d’enfants qui ne sont

jamais rentrés ?

...

Tôge Sankichi

 

août 20, 2012

Le contre-ciel

... Poètes, vous êtes, nous sommes honteux -ou trop fiers- de nos corps blanchis, civilisés, trop bien élevés. Sans quoi vous bondiriez, nous bondirions dans la ronde, hurlant notre stupeur de vivre, ici, sur ce boulevard, nous recommencerions le signe de la folie tournante, la vieille Danse, le premier et le plus pur poème...

René Daumal

 

août 09, 2012

Le livre de l'intranquillité

Je suppose que la plupart des gens, croisés au hasard des rues, emportent eux aussi - je le remarque au mouvement muet des lèvres, à l'indécision vague des yeux, ou aux prières qu'ils élèvent bien haut, avec un bel ensemble - un même élan vers cette guerre inutile d'une armée sans bannières. Et eux tous - je me retourne pour contempler leur dos de pauvres gens, leur dos de vaincus -, tous doivent connaître, comme moi, la grande, la sordide défaite, perdue dans la boue et les roseaux, mais sans la poésie des étangs, sans clair de lune pour en baigner les rives - une défaite minable et boutiquière. Ils ont tous, comme moi, une âme exaltée et triste.

Fernando Pessoa