mars 15, 2017
Bruissements d'oubli
Et je reviens avec mes pierres rouges, ocres - plus belles quand elles sont humides - et quand avec le soleil, elles deviennent sèches, anodines, je les humecte avec ma langue. Elles finissent toujours posées sur le seuil de la porte.
(Aujourd'hui, je fais un effort pour écrire)
...
Hier soir, avant de me coucher j'ai mis sur la table toutes les plumes d'oiseaux que j'ai ramassées : corneilles, sternes, mouettes, des restes de vol, vieux rêves d'envol.
Erwann Rougé, Apogée
15:50 Publié dans LITTERATURE / Anthologie de Corinne Le Lepvrier
Les Matinaux
Dans mon pays, les tendres preuves du printemps et les oiseaux mal habillés sont préférés aux buts lointains.
La vérité attend l’aurore à côté d’une bougie. Le verre de fenêtre est négligé. Qu’importe à l’attentif.
Dans mon pays, on ne questionne pas un homme ému.
Il n’y a pas d’ombre maligne sur la barque chavirée.
Bonjour à peine, est inconnu dans mon pays.
On n’emprunte que ce qui peut se rendre augmenté.
Il y a des feuilles, beaucoup de feuilles sur les arbres de mon pays. Les branches sont libres de n’avoir pas de fruits.
On ne croit pas à la bonne foi du vainqueur.
Dans mon pays, on remercie.
René CHAR, NRF 1950
15:49 Publié dans LITTERATURE / Anthologie de Corinne Le Lepvrier
La taille des hommes
tout ce que je veux à présent c’est conduire sans relever le menton tout ce que je veux c’est rouler sans devoir m’arrêter sans y être forcée c’est être prise dans le flux le mien sans plus d’explication je ne veux plus prendre de notes je ne veux plus qu’existe le temps pour prendre des notes je ne veux plus me garer sur le côté pour me demander ceci ou cela franchement j’en ai plus qu’assez bien sûr je m’arrêterai pour regarder les nuages qui ne s’arrêteront jamais je m’arrêterai pour l’habitude et le goût que j’ai de m’arrêter je m’arrêterai pour rêver je rêve aux ciels rouges je rêve aux chevaux dans ce ciel qui me fait rêver…
Corinne LOVERA VITALI, Comp’Act
15:48 Publié dans LITTERATURE / Anthologie de Corinne Le Lepvrier
sixty-nine poems
Visions d’Istanbul (16-23 février 1997)
1-SIZGILI
arriver sur les bords du Bosphore et se dire en face c’est l’Asie
construire un Istanbul mental fait de sédiments imaginaires se strates incertaines entre bazar et Luna Park
les rivales du harem jalousaient leurs fils respectifs et les éliminaient souvent pour que leur aille sur le trône
des femmes éperdues s’égaraient dans la folie dans les couloirs su quartier réservé de Topkapeu
on peut croire à sa bonne étoile elle est partout à côté de la lune sur le drapeau à fond rouge
on peut s’aventurer sans crainte dans le dédale un mécanisme céleste est en marche qui nous mène inéluctablement où nous devons aller
Stéphane ROSIERE
15:45 Publié dans LITTERATURE / Anthologie de Corinne Le Lepvrier
plus rien ne pense aux restes
Cambodge
Ils avancent en file, reliés par la corde qui est passée à leur cou. Les yeux bandés, ils sont pris dans le noir du hurlement des ordres. Ils ne sont plus.
Le tortionnaire questionne la notion d'ennemi. Il n'a pas de réponse.
Il faut et il suffit de nommer "l'homme" "ennemi" pour qu'"il" remplace "l'homme".
L'homme qui écrit des fautes à force de torture sent son être qui part. Il se trace sans mots.
...
La mort suit la torture lorsque le tortionnaire acquiert la certitude que la victime croit en son mensonge : culpabilité fausse creusée à l'intérieur de la disparition.
Véronique Breyer, comp'act
15:39 Publié dans LITTERATURE / Anthologie de Corinne Le Lepvrier
sept. 28, 2016
Vers la mer
De temps à autre, profitant d'un segment rectiligne du fleuve, je bloque la barre et vais m'asseoir près de toi, te prends la main, regarde avec toi les berges et l'horizon, lis quelques lignes à mi-voix sur la page du livre laissé ouvert à ton côté ; pour l'heure c'est un court paragraphe marqué d'une accolade au crayon, note-le dans le carnet bleu, me souffles-tu... "A quoi servent les poètes ? A semer dans la nuit les mots comme des étoiles, à relier ciel et terre, chair et âme, fragiles mais précieux traits d'union entre ceux qui, à tâtons, cherchent le sens de leur vie" Marina Tsvetaeva.
Jacques-François Piquet, ed Rhubarbe
17:04 Publié dans LITTERATURE / Anthologie de Corinne Le Lepvrier
sept. 23, 2016
Territoire des tâtonnements
"Je voudrais que la nuit soit passée, que les mouches reprennent leur remue-ménage, que les pollens piquent à nouveau l’œil, qu'elle ait quelque chose à faire, une paupière à cligner, un sabot à frapper, qu'elle ne soit plus seule avec sa pensée, sa pensée sans morgue, ni morne ni tendre, ni révoltée, ni anxieuse. Sa pensée sans mouvement, implacable comme l'éternité que rien ne distrait d'elle-même. Je jure que j'ai senti penser la vache, que sa solitude m'a déchiré le cœur. Et je ne parle pas de ce qu'elle sait ou ne sait pas de son destin. Elle n'est devin, ni moins ni plus que nous. Je parle de sa pensée, qui m'a traversée."
Manuelle Campos, Manuelle Campos et Carine Masseron, Editions La Renverse
12:42 Publié dans LITTERATURE / Anthologie de Corinne Le Lepvrier
avril 18, 2016
L'écriture m'a donné une enveloppe
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Au jardin il a plu, ça fait pousser des phrases. Les oiseaux ruissellent dans le prunier. Une feuille de framboisier ressemble à une coquille Saint Jacques. L’éolienne que tu as fabriquée avec trois semelles de sécurité, tourne. Et tout ce qui est en mouvement est beau ; les nuages au-dessus des remparts, ton linge giflé par le vent, les blés que nous n'aurons pas moissonnés, ma main......
Dorothée Volut, ed Contre-mur
20:04 Publié dans LITTERATURE / Anthologie de Corinne Le Lepvrier
avril 11, 2016
chambre zérosix
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Pourtant le désert est tout près qui désigne ses bancs de sable portés par le vent chambrezérosix Le monde devient un autre monde
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Les feuilles tombent normalement le soir tombe normalement Les nains de jardin n'existent pas D'autres attendent sous la pluie
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Isabelle Pinçon, la rumeur libre
21:18 Publié dans LITTERATURE / Anthologie de Corinne Le Lepvrier
avril 06, 2016
Les amours suivants
... Il regarde partout ailleurs, je lui souris profondément comme s'il était un tournesol égaré et c'est bizarre effrayé par la lumière, et tout le monde rit quand on se rend compte que je ne sais pas prononcer le l de différence entre word et world et personne n'a rien dû comprendre mais tout cela est finalement sans importance puisque j'ai réussi à parler 3h. et plus tard pour le petit reste de nos jours il m’appelle world pour rire, il dit, je traduis, world pourquoi fais-tu en vrai de la poésie ? Nous sommes en train de manger des gâteaux verts et roses qui s’effritent en poudre sous mes doigts et deviennent de la poussière décorant la lumière. C'est très simple en fait, c'est parce que nous devons sans cesse voler les choses à l'absence, et encore aujourd'hui...
Stéphane bouquet, Champ vallon
16:11 Publié dans LITTERATURE / Anthologie de Corinne Le Lepvrier
août 20, 2015
Les yeux fermés, les yeux ouverts
Puisqu'il faut rapprocher l'espace qui me sépare du départ. Nuit où j'attends. Exposition à l'obscurité. Si je prends en photo la nuit entière, sera-t-elle moins longue. Mon corps incontestable, je joue avec, en attendant que le temps passe. Ce soir les fenêtres brillent comme des issues. La chute est un saut en hauteur, basculons les perspectives.
Virginie Gautier
13:04 Publié dans LITTERATURE / Anthologie de Corinne Le Lepvrier
août 19, 2015
Les énergies, nous
/ [...] ce 5 janvier,
on a bu toute la nuit / au matin, la nuit était vide, chancelants
nous sommes descendus à la rivière [...] /
ce 24 octobre / [...]...
contre la décision d'une juridiction / nous sommes au lit, elle m'explique ce qu'est la cour de cassation, je suis étonné, les mots tombent, je l'écoute, elle n'apprécierait pas que je l'interrompe maintenant / d'ici cinq ou dix minutes, elle sera différente, aussi je goûte ce moment
Bruno Normand
20:34 Publié dans LITTERATURE / Anthologie de Corinne Le Lepvrier
juil. 18, 2015
Dans ma tête
...
tu n'as pas eu une mère qui se désolait de ton corps dommage sans ça tu serais tellement belle
tu ne t'es pas injectée de l'encre sous la peau
...tu n'as pas senti la peau de ton dos se déchirer sous la poussée de tes ailes de métal
tu crois que les dragons n'ont pas existé
...
Nadine Agostini
16:35 Publié dans LITTERATURE / Anthologie de Corinne Le Lepvrier
juil. 15, 2015
je ne sais rien d’un homme quand je sais qu’il s’appelle jacques
"Une vie est une constellation, une vie est un système. Un glossaire, un album, le tracé d’une ellipse. La cohérence n’y est pas une notion majeure même si tout y tourne autour d’un axe. Juste des tonalités intermédiaires. Une vie a des résonances variables selon l’angle de vue choisi, le trajet."
Laure LIMONGI
15:08 Publié dans LITTERATURE / Anthologie de Corinne Le Lepvrier