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mars 01, 2009

Semaine 10

Une femme qui tenait un nouveau-né contre son sein dit : Parle-nous des enfants. Il dit : Vos enfants ne sont pas vos enfants. Ils sont les fils et les filles de l’appel de la vie à elle-même. Ils passent par vous mais ne viennent pas de vous.  Et bien qu’ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas.  Vous pouvez leur donner votre amour mais pas leurs pensées, car ils ont leurs propres pensées. Vous pouvez loger leur corps mais pas leurs âmes, car leurs âmes habitent  la maison de demain, que vous ne pouvez visiter, même pas en rêve. Vous pouvez vous efforcer d’être semblables à eux, mais ne cherchez pas à les rendre semblables à vous, car la vie ne revient pas en arrière ni ne s’attarde avec hier.

Khalil Gibran, Le prophète

févr. 22, 2009

Le livre des sables

…Je fus tour à tour rameur, marchand d’esclaves, bûcheron, détrousseur de caravanes, chanteur, sourcier, prospecteur de minerais. Je fus aux travaux forcés pendant un an dans des mines de mercure, où l’on perd ses dents. Je pris du service avec des hommes venus de Suède dans la garde de Mikligarthr. Au bord de la mer d’Azov, je fus aimé par une femme que je n’oublierai pas ; je la quittai, ou elle me quitta, ce qui revient au même. Je fus trahis et je trahis. Plus d‘une fois le destin  m’obligea à tuer. Un soldat grec me provoqua en duel et me fit choisir entre deux épées.  L’une avait un empan de plus que l’autre. Je compris qu’il cherchait à m’effrayer et je choisis la plus courte.  Il me demanda pourquoi. Je lui répondis que de mon poing à son cœur la distance était la même. Sur une rive de la mer noire se trouve l’épitaphe runique que je gravai pour mon compagnon Leif  Arnarson. J’ai combattu avec les hommes bleus de Serkland, les Sarrasins. Au cours du temps j’ai été plusieurs personnes, mais ce tourbillon ne fut qu’un long rêve. L’essentiel était la parole. Il m’arriva de douter d’elle…

Jorge Luis Borges, Le livre des sables

févr. 15, 2009

L'air libre

le chant des bêtes les cris des hommes

sous un bout de ciel rose que les nuages

ont épargné ce soir une cigarette a suffi à

me faire marcher de travers dehors je

songe au verbe suffire je me demande s’il

finira par s’user si je l’utilise trop je me

demande si tout s’use et quelle force il

faut déployer pour aller contre et si c’est

à cause de ça que les hommes crient

Albane Gellé, L’air libre

févr. 08, 2009

Terres des folles

Des femmes marchent.

Elles marchent contre la haine du monde à leur façon de femmes, silencieuses, les mains nues, patientes comme la mer, obstinées comme l’enfance. Souvent, elles tournent en rond, mais c’est aussi marcher. Et elles l’ont choisi.

Tourne la bête en cage, tourne le prisonnier dans sa cellule.

Mais tourne aussi le sang qui circule, tournent le soleil et la terre.

Tournent les enfants, monologues intérieurs ou prononcés, réel sou rêvés.

Des femmes chantent.

On entend la mer.

On entend gonfler un immense piétinement. L’empire des femmes s’accroît sans bruit.

Leur mouvement, infini au commencement, s’étend en tache d’huile, tout doux, irrésistible.

Laurence Cossé, Terre des folles

févr. 01, 2009

Des pas de crabe sur du jaune

…Elle disait : Pour ça, faut toujours être un peu attentif à eux, à ces souvenirs qu’on a dès qu’on commence, à ceux aussi qui viennent parce qu’on continue, tous ceux-là qui ne demandent qu’à entrer se faire une petite place dans notre boite à vivre ; et encore attentif à tous les autres, ceux qu’on a sans le savoir juste parce qu’ils se sont installés plus loin, dans de l’obscur. Alors disait-elle, si l’on fait ça assez longtemps, cette collection qui se dérange chaque jour et qu’on rerange chaque nuit, on finit par entendre sa propre musique. Et les autres l’entendent aussi. D’où vient que quelques uns vous font signe, vous approchent, quelquefois vous abordent, demandant si on pourrait pas faire de la musique ensemble. Par exemple inventer à deux un air inouï et le jouer, pourquoi pas puisque justement on a la main, et du jeu.

 

Philippe Longchamp, Des pas de crabe sur du jaune

janv. 25, 2009

Fahrenheit 451

« … Est-ce que vous voyez maintenant d’où viennent la haine et la peur des livres ? Ils montrent les pores sur les visages de la vie. Les gens installés dans leur tranquillité ne veulent que des faces de lune bien lisses, sans pores, sans poils, sans expression. Nous vivons une époque où les fleurs  essaient de vivre sur les fleurs, au lieu de se nourrir de bonne pluie et de terreau bien noir. Même les feux d’artifice, si jolis soient-ils, résultent d’une chimie qui prend sa source dans la terre. Et pourtant, d’une manière ou d’une autre, nous nous croyons capables de croître à grand renfort de fleurs et de feux d’artifice, sans accomplir le cycle qui nous ramène à la réalité. Connaissez-vous le légende d’Hercule et d’Antée, le lutteur géant dont la force était incroyable tant qu’il gardait les pieds au sol ? Une fois soulevé de terre par Hercule, privé de ses racines, il succomba facilement. Si cette légende n’a rien à nous dire aujourd’hui, dans cette ville, à notre époque, c’est que j’ai perdu la raison… »

Ray Bradbury, Fahrenheit 451 (1953)

janv. 16, 2009

L'enchantement simple

… A l’enfant qui me demanderait ce que c’est que la beauté, je répondrais ceci : est beau tout ce qui s’éloigne de nous, après nous avoir frôlé. Est beau le déséquilibre profond que cause en nous ce léger heurt d’une aile blanche. La beauté est l’ensemble de ces choses qui nous traversent et nous ignorent, aggravant soudain la légèreté de vivre. Je lui montrerais le ciel où les anges, en s’essuyant les mains dans un nuage, donnent une peinture de Turner, et je prendrais pour lui une poignée de cette terre, sur laquelle nous allons. Je lui dirais qu’un livre c’est comme une chanson, que ce n’est rien, que c’est pour dire tout ce qu’on ne sait pas dire, et je couperais pour lui une orange. La promenade se poursuivrait loin dans le soir. Dans le silence nous découvririons enfin, lui et moi, la réponse à sa question. Dans l’immensité lumineuse d’un silence que les mots effleurent sans le troubler…

 

Christian Bobin, l'enchantement simple

janv. 10, 2009

Poèmes à cracher dans les ruines

...

Veux-tu car il faut que quelque chose encore

Quelque chose

Nous réunisse veux-tu crachons

Tous deux c'est une valse

Une espèce de sanglot commode

Crachons crachons de petites automobiles

Crachons c'est la consigne

Une valse de miroirs

Un dialogue nulle part

Ecoute ces pays immenses où le vent

Pleure sur ce que nous avons aimé

L'un d'eux est un cheval qui s'accoude à la terre

L'autre un mort agitant un linge

La trace de tes pas

Je me souviens d'un village désert

A l'épaule d'une montagne brûlée

...


Louis Aragon, poème à cracher dans les ruines

janv. 04, 2009

Le parti-pris des choses

L'HUITRE

L'huître, de la grosseur d'un galet moyen, est d'une apparence plus rugueuse, d'une couleur moins unie, brillamment blanchâtre. C'est un monde opiniâtrement clos. Pourtant on peut l'ouvrir : il faut alors la tenir au creux d'un torchon, se servir d'un couteau ébréché et peu franc, s'y reprendre à plusieurs fois. Les doigts curieux s'y coupent, s'y cassent les ongles : c'est un travail grossier. Les coups qu'on lui porte marquent son enveloppe de ronds blancs, d'une sorte de halos. A l'intérieur l'on trouve tout un monde, à boire et à manger : sous un firmament (à proprement parler) de nacre, les cieux d'en-dessus s'affaissent sur les cieux d'en-dessous, pour ne plus former qu'une mare, un sachet visqueux et verdâtre, qui flue et reflue à l'odeur et à la vue, frangé d'une dentelle noirâtre sur les bords. Parfois très rare une formule perle à leur gosier de nacre, d'où l'on trouve aussitôt à s'orner.

Françis Ponge, le parti-pris des choses

déc. 30, 2008

Survivre au 31...puis Semaine 1

 Ceci est un courte séquence vidéo, à vous de la lancer...


bonnE ANNEE 2009
 

 

matière à mots 

 

vous voeux des choses et des transactions humaines ...

 

 ...futiles, instructives, pétillantes, surprenantes, oniriques, coquines, vitales, belles, calmes, rebelles, soignées, légères, intelligentes, précises, matérielles, claires, joyeuses, convaincantes, dansantes, éternelles, modestes, délicates, couillues, épicées, philosophiques, sacrées, carrées, enflammées, pointues, prenantes, harmonieuses, enfantines, inventives, chaleureuses, grandes, inutiles, liquides, pour eux, pour vous, pour vos enfants, essentielles, en spirale, amicales, envoûtantes, entières, en nous, en rond, insensées, ambitieuses, joufflues, tristes, merveilleuses, tarzandesques, rigolotes, bizarres, tendres, interpellantes, banales, petites, nouvelles, gratinées, raffinées, entraînantes, gaies, rassurantes, humoristiques, rythmées, uniques, apaisantes, fleuries, flagrantes, transcendantes, provinciales, libidinales, éclairées, métaphoriques, immatérielles, rêvées, impensées, fleuries, retrouvées, émouvantes, concrètes, discrètes, transparentes, délicieuses, aventureuses, opaques, renversantes, folles, courtes, singulières, attendues, alternées, inattendues, turlututu chapeau pointu, planantes, animales, grandissantes, qui embrassent, entrelacées, qui éclairent, gonflées, maternelles, sucrées, amoureuses, vagues, secrètes, illusoires, meilleures, émouvantes, commençantes, lunaires, puériles, fraîches, organiques, déstabilisées, propres, infinies, fraternelles, bigarrées, sérieuses, aériennes, corporelles, susurrées, sucées, perdues, complexes, vertueuses, virtuelles, féminines, grandissimes, infernales, picturales, hivernales, inversées, partagées, littéraires, grégaires, collégiales, familiales, narratives, préparatives, écrites, inventives, chantées, enchevêtrées, adoucies, pour ceux qui ne sont plus là, pour ceux qui sont encore là, demain, aujourd’hui,  délicates, tendres, utopiques, candides, rituelles, chaudes, spirituelles, nouvelles, ensoleillées, émerveillées, incertaines, hasardeuses, tentées, espérées, oubliées…

 

 

déc. 19, 2008

Semaine 52, c'est Noël !

LS016682.jpg"-Joyeux Noël, mon oncle, et que Dieu vous ait en sa garde ! Cria une voix enjouée. C'était le neveu de Scrooge qui était entré si vivement que cette voix fut le premier signe qu'il donne de sa présence.-Bah ! grogna Scrooge, sornettes ! Il s'était si bien réchauffé à marcher d'un pas rapide dans le brouillard et le froid, ce neveu de Scrooge, qu'il en était tout en feu; ses joues rouges embellissaient son visage, il avait les yeux brillants et son haleine fumait encore. -Des sornettes, Noël ! Mon oncle, dit le neveu de Scrooge. Vous ne parlez pas sérieusement. -Si fait, dit Scrooge. Joyeux Noël ! Quel droit avez-vous d'être joyeux ? Quelle raison avez-vous d'être joyeux ? N'êtes-vous pas pauvre ? -Allons, mon oncle, répliqua le neveu gaiement. Quel droit avez-vous d'être maussade ? Quelle raison avez-vous d'être sombre ? N'êtes-vous pas riche ? Scrooge ne trouva rien à répondre du tac au tac se contenta de faire : "Bah !..." et de répéter ensuite : "Sornettes !" -Ne soyez pas grognon, mon oncle, dit le neveu -Comment ne pas l'être, rétorqua l'oncle, lorsqu'on vit dans un monde d'insensés ? Joyeux Noël !"

Charles Dickens, Un chant de Noël (Littérature jeunesse)

déc. 14, 2008

La ligne

"...On trace des boucles de soie, dans l'air, on pose sur l'eau une mouche en plume de coq, on en extrait des poissons et ce n'est pas ça, en vérité, qui se passe. Nous sommes agis, mus par quelque humeur fatidique, dedans ; dehors, le jouet des éléments. Comment expliquer, sinon, le goût qui bouscule et vainc nos penchants fugitifs et jusqu'aux pires aversions. Ludions jetés dans le grand chaudron, nous sommes roulés par le bouillement universel au mépris de ce que nous jugeons vouloir, croyant penser. Le drame est que nous le soupçonnions. Il n'y a que nous pour n'être pas à notre place, en paix, mais inquiets, le théâtre de songes, l'agent des passions. Nous sommes fondés à nous demander ce que fait à l'affaire la disposition pensive qui nous fut départie. Elle semble se réduire à la conscience de son impuissance et de sa vanité. A moins que les rivières sous le soir qui tombe, la terre géante qui s'apprête au repos, l'éternelle matière ne soient elles-mêmes en peine de la capacité qu'on a de se représenter tout ce que l'on n'est point. Peut-être manquerait-il quelque chose à la création si, retenant notre geste, suspendant notre course, levant les yeux, nous ne lui accordions, au passage, qu'elle règne en toutes gloire, magnificence, profusion, splendeur, infinité. C'est ce tremblant reflet, comme l'eau en suscite, mais immatériel, labile et se sachant tel, que nous ajoutons au paysage. C'est en lui que les arbres et les oiseaux, les nuages, les monts, l'eau, même, prennent sens et forme et sont. Quant aux poissons auxquels on tend des mouches feintes, ils ne sont qu'un leurre et tout ce qu'on peut faire et dire à ce propos est trompeur, inutile, sans le moindre intérêt.

Pierre Bergounioux, la ligne

déc. 06, 2008

Antigone

Dans les champs c'était tout mouillé et cela attendait. Tout attendait. Je faisais un bruit énorme toute seule sur la route et j'étais gênée parce que je savais bien que ce n'était pas moi qu'on attendait. Alors j'ai enlevé mes sandales et je me suis glissée dans la campagne sans qu'elle s'en aperçoive.

Jean Anouilh, Antigone (1942) (Sophocle, 440 a.J.C)

nov. 29, 2008

...

...Il est possible que le livre soit le dernier refuge de l’homme libre…Si l’homme tourne décidément à l’automate, s’il lui arrive de ne plus penser que selon les images toutes faites d’un écran, ce dernier finira par ne plus lire. Toutes sortes de machines y suppléeront ; il se laissera manier l’esprit par un système de visions parlantes ; la couleur, le rythme, le relief, mille moyens de remplacer l’effort et l’attention morte, de combler le vide ou la paresse de la recherche et de l’imagination particulière ; tout y sera, moins l’esprit. Cette loi est celle du troupeau...

 

André Suarès