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févr. 22, 2009

Le livre des sables

…Je fus tour à tour rameur, marchand d’esclaves, bûcheron, détrousseur de caravanes, chanteur, sourcier, prospecteur de minerais. Je fus aux travaux forcés pendant un an dans des mines de mercure, où l’on perd ses dents. Je pris du service avec des hommes venus de Suède dans la garde de Mikligarthr. Au bord de la mer d’Azov, je fus aimé par une femme que je n’oublierai pas ; je la quittai, ou elle me quitta, ce qui revient au même. Je fus trahis et je trahis. Plus d‘une fois le destin  m’obligea à tuer. Un soldat grec me provoqua en duel et me fit choisir entre deux épées.  L’une avait un empan de plus que l’autre. Je compris qu’il cherchait à m’effrayer et je choisis la plus courte.  Il me demanda pourquoi. Je lui répondis que de mon poing à son cœur la distance était la même. Sur une rive de la mer noire se trouve l’épitaphe runique que je gravai pour mon compagnon Leif  Arnarson. J’ai combattu avec les hommes bleus de Serkland, les Sarrasins. Au cours du temps j’ai été plusieurs personnes, mais ce tourbillon ne fut qu’un long rêve. L’essentiel était la parole. Il m’arriva de douter d’elle…

Jorge Luis Borges, Le livre des sables

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