nov. 23, 2008
Abadôn
...C'est une ville aveugle, qui descend aveuglément vers la mer, et quand j’étends les bras elle roule avec moi d’un horizon l’autre, elle tangue, s’éploie, chancelle au bord de fleuves rouges, dans la rumeur épaisse et veloutée du sang, elle a mon nom, elle est de moi, et quand je ferme les yeux, au coeur d’un faisceau d’éclairs rouges, embrasé, disparaît ce qui reste de ses oripeaux de pierre, plus rien que des cariatides sans visage et des bas-reliefs qui s’écaillent, une main, une arme, la tête d’un mort sous les sabots des chevaux, la guerre, ou des diables hilares, pris dans les dentelles d'archivoltes si légères, si déliées, si subtiles, sous la courbe bleue de ce fragment de ciel étiré entre mes mains, que la lumière les frappant les fait chanter comme cordes de lyre, plus rien que des vagues, un long frisson rougeâtre courant au ras des vagues, la ville est ce que je porte, dans mon corps tendu mes mains ouvertes, j’en suis le texte j’en suis la chair, avec ses flèches, majuscules pointant haut hérissant la soie de la page, et ce chant, à ma voix mêlé, tous deux entrelacés comme corps d’amour qui s’appellent, et qui la baigne de sa tendresse froide, soutenant chaque mot, c’est le chant, c’est la phrase, la période de la mer, de celle qui, dans un bouillonnement de soie, sur les moirures de la vase où je me couche, où je me roule, fonde la ville, soudain, là, comme un songe abouti dans sa résille d’écume...
Michèle Dujardin, abadôn
21:46 Publié dans LITTERATURE / Anthologie de Corinne Le Lepvrier
nov. 16, 2008
Le poisson d'or
... Je n'ai pas besoin d'aller plus loin. Maintenant, je sais que je suis enfin arrivée au bout de mon voyage. C'est ici, nulle part ailleurs. La rue blanche comme le sel, les murs immobiles, le cri du corbeau. C'est ici que j'ai été volée, il y a quinze ans, il y a une éternité, par quelqu'un du clan Khriouiga, un ennemi de mon clan des Hilal, pour une histoire d'eau, une histoire de puits, de vengeance. Quand tu touches le mer, tu touches à l'autre rivage. Ici, en posant ma main sur la poussière du désert, je touche la terre où je suis née, je touche la main de ma mère...
J.M.G. Le Clézio, Le poisson d'or
10:05 Publié dans LITTERATURE / Anthologie de Corinne Le Lepvrier
nov. 09, 2008
Quand un soldat
Quand un soldat
...
Quand un soldat s'en va-t-en guerre, il a
Des tas d' chansons et des fleurs sous ses pas
Quand un soldat revient de guerre, il a
Simplement eu d' la veine et puis voilà.
Simplement eu d' la veine et puis voilà.
Simplement eu d' la veine et puis voilà.
Françis Lemarque (1952)
Lorsque Montand l'interprète pour la première fois en 1953, émeutes de parachutistes à Paris et Lyon...
20:41 Publié dans LITTERATURE / Anthologie de Corinne Le Lepvrier
nov. 05, 2008
Haikus
A l'automne de ma vie
la lune est sans tache
et pourtant
Kobayashi Issa
Couchant d'automne
la solitude aussi
est une joie
Yosa Buson
14:45 Publié dans LITTERATURE / Anthologie de Corinne Le Lepvrier
nov. 04, 2008
Novembre
Novembre
On attraperait qu'allergie
à se planter trop longtemps face
à l'Arc de Triomphe en la place
de Coudenhove-Kalergi
Nous sommes seuls, moi et un chien
qui vient pisser dessous la plaque
de ce diplomate autrichien
Novembre ! Où faut-il que l'on vaque !
Jacques Roubaud
12:29 Publié dans LITTERATURE / Anthologie de Corinne Le Lepvrier