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nov. 23, 2008

Abadôn

...C'est une ville aveugle, qui descend aveuglément vers la mer, et quand j’étends les bras elle roule avec moi d’un horizon l’autre, elle tangue, s’éploie, chancelle au bord de fleuves rouges, dans la rumeur épaisse et veloutée du sang, elle a mon nom, elle est de moi, et quand je ferme les yeux, au coeur d’un faisceau d’éclairs rouges, embrasé, disparaît ce qui reste de ses oripeaux de pierre, plus rien que des cariatides sans visage et des bas-reliefs qui s’écaillent, une main, une arme, la tête d’un mort sous les sabots des chevaux, la guerre, ou des diables hilares, pris dans les dentelles d'archivoltes si légères, si déliées, si subtiles, sous la courbe bleue de ce fragment de ciel étiré entre mes mains, que la lumière les frappant les fait chanter comme cordes de lyre, plus rien que des vagues, un long frisson rougeâtre courant au ras des vagues, la ville est ce que je porte, dans mon corps tendu mes mains ouvertes, j’en suis le texte j’en suis la chair, avec ses flèches, majuscules pointant haut hérissant la soie de la page, et ce chant, à ma voix mêlé, tous deux entrelacés comme corps d’amour qui s’appellent, et qui la baigne de sa tendresse froide, soutenant chaque mot, c’est le chant, c’est la phrase, la période de la mer, de celle qui, dans un bouillonnement de soie, sur les moirures de la vase où je me couche, où je me roule, fonde la ville, soudain, là, comme un songe abouti dans sa résille d’écume...

Michèle Dujardin, abadôn

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