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janv. 22, 2010

Mains

Je me souviens de tes doigts sur la pierre. Il faisait presque nuit. C’était en Angleterre, nous faisions connaissance…Tu as touché le mur. J’ai regardé ta main s’enquérir et comprendre. Savoir. Une affaire de désir entre le monde et toi. Une question d’expertise. Une histoire d’entente et, voilà, je t’aimais.

Viviane Forestier

janv. 18, 2010

La bouche de quelqu'un

Chaque jour de nouvelles noisettes tombent.

Je ne marche plus pareil, je m’accroupis.

Le temps qui passe ne touche pas par terre. Moi si. Triant les fruits

des débris variés, ma solitude s’emplit de modestie. J’ai déjà été petite.

Le besoin qu’on a de se nourrir.

En réalité je n’ai pas faim, bien sûr.

Chaque noisette que je tiens, m’avançant tout bas, n’a pas

appartenu à un chapelet, même jeté et brisé. Tu me refuses ta présence

pour que j’apprenne à ne plus attendre. Je les ramasse sans me dépêcher,

me montrant à moi-même comment je t’aime aujourd’hui et peut-être

nous nous aimons. Le menton sur les genoux, j’oublie de vieillir. Je suis

attentive.

Il y a quelques jours tes soupirs pendant que je caressais les bouts

de tes seins, émotion pas si minuscule, très longue même. Entre tes

jambes, suite du paysage, tu bandais avec patience. Je vais encore

demander si c’est un poème, mais je ne demande plus si je t’aime.

 

Ariane Dreyfus

 

La crise commence où finit le langage

Aujourd'hui, la litanie de l'époque est éloquente.
« C'est la crise pour tout le monde. La crise financière secoue les économies. Elle modifie notre existence. Comment faire pour l'affronter ? Elle altère de deux points le moral des Français. Il va falloir adapter nos modes de vie. La fin de la crise n'est pas pour demain. Elle est pour demain. La crise de système est devenue une crise de confiance. »
Toutes ces phrases d'experts autoproclamés, que vous entendez dans les médias, ont pour point commun de ne spécifier aucun contexte. Je peux aussi bien remplacer le mot « crise » par le mot « dieu » ou par le mot « diable », une question demeure : avez-vous une quelconque prise sur la situation que désigne ce mot ? Si je reprends la dernière phrase, soit « La crise de système est devenue une crise de confiance », pouvez-vous vous projeter distinctement dans ce « système », et comprendre les liens réels qui le relient à votre existence ? Quant à cette « crise de confiance », elle n'est pas plus claire. Qu'est-ce que cet environnement glauque, sans localisation précise, où votre confiance serait en berne ? Enfin, qu'est-ce que cette conversion d'une raison systémique en raison psychologique ? Le manque de précision est évident. De quoi parle-t-on au juste? Ces mots ne font référence à aucun contexte. Ce sont des coquilles vides, qui planent très haut dans l'éther.
Mais personne ne relève ces carences. Dès le petit déjeuner, à la radio, ces phrases diffusent une angoisse sourde, qui vous retient de clarifier leur usage. Elles vous intimident et réduisent à néant votre potentiel critique face à ce qui apparaît comme un incommensurable et affligeant déterminisme. La crise existe comme les monstres sous les lits des enfants. Lorsque vous reprenez ensuite ces arguments pour les échanger dans des conversations ordinaires, vos propos intimidés deviennent à leur tour intimidants. Ils rendent illégitime la critique sociale, et subsidiaires les questions touchant essentiellement au vivre-ensemble. C'est ainsi que prend forme le consensus de crise : dans la prostration du langage. C'est ainsi que toute disposition individuelle à la vulnérabilité psychologique est travaillée au corps par le langage ordinaire, par ces mots qui n'ont l'air de rien.
À un degré plus hollywoodien encore, cette intimidation peut devenir un véritable instrument de communication, comme en attestent les récents propos d'un ministre :
« Je crois qu'il est très malvenu d'aller manifester dans la rue alors que nous sommes en pleine crise (...) il faudrait plutôt penser à se serrer les coudes. »
Cette phrase vous atteint en vous culpabilisant. Sa rhétorique de l'urgence vous fait percevoir que vous êtes, contre votre volonté, membre de l'environnement de la crise. Mais pour que cette perception soit optimale, elle doit rester imperméable au langage clarifié. Vous pourrez bien vous offusquer de ces propos, ils vous atteindront profondément. Ils vous intimideront et vous plongeront dans cette « nuit sans fin », inexprimable et inconcevable. Une fois de plus : où vos mots s'éteignent, la crise apparaît. Pourtant, avec un peu d'acuité, le message hollywoodien de ce ministre pourrait facilement être retourné dans quelle mesure l'illusion métaphysique d'un déterminisme affligeant nommé crise est réalisé et entretenu afin de vous empêcher de descendre dans la rue pour rappeler aux dirigeants de ce pays que vous n'êtes pas responsables de la crise et n'avez pas à en faire les frais ?
Vous n'êtes pas responsable de la crise et n'avez pas à en faire les frais. Soit, mais se dégager de cette responsabilité suppose désormais de parvenir à identifier les conditions de sa vulnérabilité au niveau individuel. Par-delà le clivage opposant l'angoisse vécue au quotidien et le divertissement qui la rend supportable, une alternative critique consiste à reprendre le cours de la conversation pour tenter de désigner la « nuit sans fin » qui vous terrifie. Déjouer l'illusion métaphysique du langage permet d'identifier les limites de la crise économique mondiale à l'échelle I. Les effets désastreux constatés dans la vie de chacun sont les fruits d'arrangements qui n'ont rien d'ésotérique. Ces dérives financières s'inscrivent dans des pratiques réelles qui prennent forme dans des lieux réels, comme ceux que fréquente le ministre cité plus haut : des salles de conseil d'administration de multinationales ou de banques, des conseils des ministres, des salles de réunion des grands de ce monde (Fonds Monétaire International, Banque mondiale, G20, etc.), des lieux plus informels dévolus à la réflexion ou à l'apprentissage de la gestion de crise, etc. De même, le mot « bourse » ne désigne pas un événement qui cause votre perte, mais un lieu identifiable sur une carte, un lieu où l'on spécule, avec des salles de conférences, de séminaires, des bars lounge où l'on parle clairement de l'état du monde. Ceux qui occupent de tels lieux succombent moins que vous à l'illusion métaphysique de la crise. L'intimidation y est plus rare, le langage n'y connaît pas de fin. Ceux-là savent que la crise n'est pas satellisée dans un ciel métaphysique, qu'elle n'est qu'une illusion résultant d'un consensus d'intimidation qui interdit d'investir pratiquement en mots et, par là, en actes, les lieux où se noue le théâtre des opérations.
Si, pour reprendre les mots de Claude Lévi-Strauss, « la crise est bonne à penser », il reste à définir le cadre et la démarche de cette réflexion. Laisser ce projet aux sciences économiques et aux sciences politiques revient à occuper un niveau hollywoodien qui contribue à entretenir l'illusion métaphysique. L'existence de chacun ne se renouvellera pas en profondeur sans une clarification régulière de l'usage qui est fait du langage ordinaire. Wittgenstein avait, en son temps, assigné ce projet à la philosophie - ce qui constitue sa profonde modernité. Cet accès à la raison anthropologique de la crise n'est pas la chasse gardée d'une élite de spécialistes. Elle est une discipline de vie, une lanterne pour avancer dans les marais de ce que les historiens et les politiciens nomment « civilisation ». Lorsque les mots seront clairement prononcés, le temps sera venu de ne plus se faire d'illusions.

Eric Chauvier

janv. 17, 2010

Les nourritures terrestres, insomnies

Il y a des nuits où l'on ne pouvait pas s'endormir. Il y avait de grandes attentes -des attentes on ne savait souvent pas de quoi- sur le lit où je cherchais en vain le sommeil, les membres fatigués et comme déjetés par l'amour. Et parfois je cherchais, par delà de la chair, comme une seconde volupté plus cachée.

...

Ma soif augmentait d'heure en heure à mesure que je buvais. A la fin elle devint si véhémente, que j'en aurais pleuré de désir.

...

Mes sens étaient usés jusqu'à la transparence, et quand je descendis au matin vers la ville, l'azur du ciel entra en moi.

...

Les dents horriblement agacées d'arracher les peaux de mes lèvres et comme toutes usées du bout. Et les tempes rentrées comme par une succion intérieure. L'odeur des champs d'oignons en fleurs, pour un rien m'aurait fait vomir.

 

André Gide

janv. 16, 2010

Souvenirs invivables

Il est des soirs où l’envie d’écrire vous prend comme une envie de femme. L’écriture est une activité tout aussi vaine que l’amour, sans doute, mais moins agréable, car les mots, dont il faut briser la petite coquille minérale, vous écorchent un peu en montant de la poitrine. On s’y fait pourtant, et lorsqu’on parvient à les épingler correctement sur quelque feuille, on en retire une curieuse satisfaction purement physique, qui n’exclut pas un relent d’inquiétude : et s’ils allaient bouger, se disperser, fuir ? On ne les connaît pas suffisamment, on les soupçonne de dissimuler quelque puissance sournoise qui leur permettrait de s’animer d’une vie propre et de s’ordonner selon des lois qui vous rendraient fou.

Henri Gougaud

janv. 15, 2010

Essai sur le lit

... Parmi tous les mots arabes qui disent le lit, j'aime celui de Sarir. Il renvoie à Sirr, secret ; à Sarira, l'intime et le profond ; à Sira, autobiographie ; à al-Isrâ, le voyage nocturne. C'est dans l'espace de tout ce condensé que mon corps, jamais, ne cessera de se consumer et d'abolir le hasard.

Maati Kabbal

Essai sur le lit

Jusqu'à une date récente, chez nous, on dormait encore par terre. On déployait des couvertures avant de se livrer, à même le sol aux rêves, à l'amour ou aux cauchemars. On était poussière, mais toujours près de la terre. La modestie des hommes provient peut-être de cette posture. Ces derniers ne deviennent-ils pas intraitables dès qu'ils se mettent debout ? "L'invention" du lit est donc chez nous de date récente...

Maati Kabbal

janv. 01, 2010

V(O)EUX

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