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déc. 22, 2009

La petite fille aux allumettes

...La petite étendait déjà ses pieds pour les chauffer aussi ; le flamme s'éteignit, le poêle disparut : elle était assise, un petit bout de l'allumette brûlée à la main. Elle en frotta une seconde, qui brûla, qui brilla, et là où la lueur tomba sur le mur, il devint tranparent comme une gaze. La petite pouvait voir jusque dans une chambre où la table était couverte d'une nappe blanche, éblouissante de fines porcelaines, et une oie rôtie, farcie de pruneaux et de pommes, fumait avec un parfum délicieux. Ô surprise ! Ô bonheur ! Tout à coup l'oie sauta de son plat et roula sur le plancher, la fourchette et le couteau dans le dos, jusqu'à la pauvre fille...L'allumette s'éteignit : elle n'avait devant elle que le mur épais et froid. En voilà une troisième allumée. Aussitôt la fillette se vit assise sous un magnifique arbre de Noël ; il était plus riche et plus grand encore que celui qu'elle avait vu, à la Noël dernière, à travers la porte vitrée, chez le riche marchand. Mille chandelles brûlaient sur les branches vertes, et des images de toutes les couleurs, semblaient lui sourire. La petite éleva les deux mains : l'allumette s'éteignit ; toutes les chandelles de Noël montaient, montaient, et elle s'aperçut alors que ce n'était que les étoiles. Une d'elles tomba et traça une longue raie de feu dans le ciel. "C'est quelqu'un qui meurt", se dit la petite...

Andersen

Presse océan, décembre 2009

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13:06 Publié dans historique / Un peu de presse

déc. 13, 2009

Souci

...Et quand vous enlevez l'autre peau, le sac qui vous sert de visage ils sont là les soucis. La trace de vous-même remorqué dans la vie par la peau du cou, raclé par les fesses ou cogné dans le mur. On enlève cette peau-là aussi, pour réfléchir un moment : on la tient devant soi, les yeux dans les yeux on se regarde. Qui tu es, toi, si on t'enlève ce que tu n'as pas choisi et qui s'écrit. Qu'est-ce qui te reste ?...

François Bon

déc. 03, 2009

Etranges étrangers

Kabyles de la Chapelle et des quais de Javel

hommes des pays loin

cobayes des colonies

Doux petits musiciens

soleils adolescents de la porte d'Italie

Boumians de la porte de Saint-Ouen

Apatrides d'Aubervilliers

brûleurs des grandes ordures de la ville de Paris

ébouillanteurs des bêtes trouvées mortes sur pied

au beau milieu des rues

Tunisiens de Grenelle

embauchés débauchés

manoeuvres désoeuvrés

Polacks du Marais du Temple des Rosiers


Cordonniers de Cordous soutiers de Barcelone

pêcheurs des Baléares ou bien du Finistère

rescapés de Franco

et déportés de France et de Navarre

pour avoir défendu en souvenir de la vôtre

la liberté des autres


Esclaves noirs de Fréjus

tiraillés et parqués

au bord d'une petite mer

où peu vous vous baignez

Esclaves noirs de Fréjus

qui évoquez chaque soir

dans les locaux disciplinaires

avec une vieille boîte à cigares

et quelques bouts de fil de fer

tous les échos de vos villages

tous les oiseaux de vos forêts

et ne venez dans la capitale

que pour fêter au pas cadencé

la prise de la Bastille le quatorze juillet


Enfants du Sénégal

dépatriés expatriés et naturalisés


Enfants indochinois

jongleurs aux innocents couteaux

qui vendiez autrefois aux terrasses des cafés

de jolis dragons d'or faits de papier plié


Enfants trop tôt grandis et si vite en allés

qui dormez aujourd'hui de retour au pays

le visage dans la terre

et des bombes incendiaires labourant vos rizières


On vous a renvoyé

la monnaie de vos papiers dorés

on vous a retourné

vos petits couteaux dans le dos


Etranges étrangers


Vous êtes de la ville

vous êtes de sa vie

même si mal en vivez

même si vous en mourrez.

Jacques Prévert

déc. 01, 2009

...

Ce n'est pas que les hommes m'indiffèrent ; ils me dépassent sans cesse, ils vont trop vite ; ils vont avec leurs paroles accolées à leurs lèvres comme une bave volatile ; ils vont sans même cueillir leurs fruits éphémères, ils les couvrent seulement d'un suaire distrait.
Je n'ignore pas l'égale vanité de mes lenteurs, l'inimportance de ma présence et de ma disparition. C'est dans ce peu que je souhaite m'étendre, que je souhaite minutieusement reculer. C'est du côté de la colline que j'aime embrasser l'air, que j'aime composer avec la matière l'inutile infinitude du poème, la calme et négligeable traque de la diction des choses. C'est dans la chronique de ces instants qui ne peuvent que se taire et dont la langue quête l'exaspérée proximité, que j'espère l'alarme de la rupture et du baiser, son accablement, sa sérénité.

Nicolas Pesquès