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sept. 30, 2009

La boite noire

Il y a eu cet énorme rayon de lumière blanche. J'ai senti que mon corps s'élevait à l'aplomb dans les ténèbres, à une vitesse folle. J'ai eu peur de heurter une borne invisible du cosmos. Un souffle d'air chaud m'a ramené sur terre et m'a couché, lentement, au beau milieu d'un pays d'horreur. Là, immobile, incapable de me hisser sur mes jambes ou même d'ouvrir les yeux, je n'ai pu que les entendre : chiens hurleurs et loups affamés, hyènes meurtries au rire aigre, feulements de fauves autour de ma carcasse. Le silence et l'oubli ont mis des siècles à tisser un cocon où, enfin, j'ai pu me lover tout entier.

Tonino Nenacquista

sept. 21, 2009

Mygale

Alex avait passé la nuit au village. Le soir, il y avait bal, c'était samedi. Annie était là, toujours aussi rousse, un peu épaisse ; elle travaillait à la conserverie de haricots, au village voisin... Alex avait dansé un slow avec elle, avant de l'amener dans le bois tout proche. Ils avaient fait l'amour dans sa voiture allongés inconfortablement sur les sièges inclinables. Le lendemain, Alex était parti, après avoir embrassé les vieux. Huit jours plus tard, il attaquait la succursale du Crédit Agricole, et tuait le flic. Au village, tout le monde devait avoir gardé la page du journal, avec la photo d'Alex a la Une et celle du flic en famille.

Thierry Jonquet

sept. 09, 2009

Journal Intime d’un marchand de canons

Je me suis toujours beaucoup préoccupé du degré de romanesque de ma vie. La plupart de mes homologues diront qu’ils se sont retrouvés à vendre des armes un peu par hasard : pas moi. J’ai spécifiquement choisi ce métier dès ma sortie d’école de commerce parce qu’il permet, voire encourage, l’inattendu, le hors-norme, le spectaculaire. Faisant le pied de grue dans l’antichambre surchargée d’une résidence moyen-orientale, un catalogue de missiles à la main, je me félicitais secrètement de la coïncidence presque parfaite entre ma situation et une scène des romans d’espionnage que je dévorais avec ferveur. Si les portes richement ornées de la salle finissaient par s’ouvrir sur un salon tapageur occupé par des militaires ombrageux et des cheikhs ventripotents, je jubilais. Si elles ne découvraient en revanche qu’une salle de réunion occupée par trois jeunes fonctionnaires en costume, j’avais du mal à cacher ma déception et ne pouvais m’empêcher, tout en récitant avec conviction mon argumentaire commercial, d’espérer que la conversation prendrait un tour moins convenu (demande de pots-de-vin, complot, opérations illégales : les possibilités ne manquent pas, tout de même !).

Philippe Vasset

sept. 08, 2009

Histoire de la chauve-souris

Plus tard j’entre dans une longue rue où les tours sont des lettres majuscules, les portes et es fenêtres des lettres minuscules, où les arbres, les bancs, les enseignes, les feux de signalisation sont des points d’interrogation. Je m’avance en essayant de lire et soudain m’aperçoit avec horreur que derrière chaque lettre, petite ou grande, il y a un homme qui s’agite comme un guerrier sur son destrier et tape à coup de lance sur ses voisins, essayant de faire tomber leurs lettres ou leurs signes, et poussant les siens à la place sitôt qu’il a réussi. Les lettres glissent, tombent, se relèvent, se remplacent, la rue bouge sans arrêt. Je m’étonne du labeur acharné de ces hommes, car il est bien évident que ce mouvement perpétuel ne favorise par une lecture suivie, l’interdit même tout à fait. Bientôt les colonnes mouvantes avec leurs traces noires qui sautent me donnent le vertige et je m’éloigne en fermant les yeux.

Pierrette Fleutiaux

sept. 04, 2009

La grande histoire des couleurs,

... Je rompis le silence, et demandai au vieil Antonio comment il avait trouvé le chemin du retour. - Je ne l'ai pas trouvé, répondit-il. Il n'était pas là; je ne l'ai pas trouvé. Je l'ai fait. C'est comme ça que se font les chemins. En marchant. Tu croyais que le chemin était là quelque part, et que tes appareils allaient nous dire où. Mais non. Et après tu t'es dit que je savais où il était, et tu m'as suivi. Mais non. Je ne savais pas où était le chemin. Mais par contre ce que je savais c'est que nous devions le faire ensemble. Comme nous l'avons fait. Et que c'est comme ça que nous sommes arrivés là où nous voulions. C'est nous qui avons fait le chemin. Il n'y en avait pas.

Thierry Lenain