mars 20, 2010
Visages en trois
Quand l’attente menace
Dans la chambre du seul l’éclat des seuils
Ce qui vient sera gouverné
Quelques-uns ont l’intuition de la cendre
Dans la nuit fine affinée de cristaux
Ceux-là disent des mots sous le risque
Etoile et tour et lion
Nous défendrons contre le château de leurs plumes
Tombé sur nous avec ses murs et l’ombre froide
- - - - -
Bientôt la fin. Bientôt dira la bouche
Ce que le puits. Qui a les lèvres pures
On le saura. Les mots décideront.
Nous serons allongés dans le simple.
Les uns et puis les autres. Il n’y aura
Personne pour nous toucher. Et si les linges s’usent
Ce sera par des nœuds faits et défaits
Sans nous, sous le vent couvert de pierres
Et qui dira les mots sera ce jour l’aimant
Pour attirer le corps du feu. Et qui
Ne dira rien sera habillé par les mots
D’un autre, dits pour le sauver
- - - - -
Voici la mort : elle a le visage en trois,
Illuminée par l’eau
Et entourée de fruits
Dans le sommeil de l’ensommeillement
Sous la beauté de l’air
A toute soif une ombre de ramier
Dans le miroir et le renversement
Colombe de la nuit de ce côté
Où les nuages dorment
- - - -
Je songe à l’osier de ses jambes
A ce fleuve entre elle et moi
Et je crie en maniants des outils
A cette ligne écrite et qui va disparaître
Avec ce corps économise pour
La seule rupture
Je songe à ses poignets devenus lampe
Et qui vont dormir au versant de la douleur
- - - -
Salah Stétié
11:53 Publié dans LITTERATURE / Anthologie de Corinne Le Lepvrier
mars 19, 2010
Poteaux d'angle
Retour à l'effacement
à l'indétermination
plus d'objectif
plus de désignation
sans agir
sans choisir
revenir aux secondes
cascade sans bruit
îlots coulants
foule étroite
à part dans la foule des environnants
habiter parmi les secondes
autre monde
si près de soi
du coeur du souffle
...
Henri Michaux
16:38 Publié dans LITTERATURE / Anthologie de Corinne Le Lepvrier
.
15:37
mars 09, 2010
Haikus
Le printemps s'annonce dans ma cabane
absolument rien
absolument tout
Yamaguchi Sodô
Une allouette s'élève
mes intestins
vieillissent les premiers
Nagata Kôi
Foulant la verdure
je foule
un banc de nuages
Kawabata Bôsha
20:03 Publié dans LITTERATURE / Anthologie de Corinne Le Lepvrier
mars 05, 2010
Pas devant les gens
Quand j’étais toute petite, j’ai longtemps dormi dans le lit de mes parents, entre eux. Je prenais un bras, une jambe, je ne cherchais même pas à qui c’était, je prenais un bout d’eux et je m’endormais. En dormant à demi je soufflais parfois doucement dans les cheveux de ma mère. Les cheveux bougeaient un tout petit peu à mon vent de la nuit quand je riais dans mes rêves. Ma mère se grattait négligemment en tirant sur sa peau. Rien ne craquait, rien ne se fendait. Quand mon père et ma mère étaient tellement serrés que je ne pouvais pas me mêler à leurs corps, je descendais tout au fond du lit, et je restais sous les draps, la tête dans leurs pieds, la bouche contre un mollet. Mes parents me laissaient faire. Quelque chose comme le sommeil appuie sur mes paupières, mais mes yeux ne se ferment pas. J’ai envie de dormir, j’ai envie de pleurer. Je pense à ma mère, elle qui pleurait certains jours entiers sans être triste, par nature. Ses larmes s’échappaient d’elles-mêmes, elles se déposaient comme un parfum sur tout son visage. Il ne fallait pas en chercher la cause, c’était un effet sans cause, juste le début des choses chez elle.
Emmanuelle Pagano
09:32 Publié dans LITTERATURE / Anthologie de Corinne Le Lepvrier
mars 03, 2010
Lorsque j'étais une oeuvre d'art
J'ai toujours raté mes suicides. J'ai toujours tout raté, pour être exact : ma vie comme mes suicides. Ce qui est cruel, dans mon cas, c'est que je m'en rends compte. Nous sommes des milliers sur terre à manquer de force, d'esprit, de beauté ou de chance, or ce qui fait ma malheureuse singularité, c'est que j'en suis conscient. Tous les dons m'auront été épargnés sauf la lucidité...J'ai honte de moi. Incapable d'entrere dans la vie et pas fichu d'en sortir, je me suis inutile, je ne me dois rien. Il est temps d'insuffler un peu de volonté à mon destin. La vie, j'en ai hérité ; la mort, je me la donnerai ! Voilà ce que je me disais, ce matin-là, en regardant le précipice qui s'ouvrait sous mes pieds...
Eric-Emmanuel Schmitt
21:41 Publié dans LITTERATURE / Anthologie de Corinne Le Lepvrier