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août 29, 2012

Poèmes de la bombe atomique

...

Comment oublier cet éclair

en un instant 30 000 dans les rues disparaissent

au fond de ténèbres qui s’écrasent

les cris de 50 000 s’éteignent


fumées jaunes se dissipant en volutes

déchirés les bâtiments, effondrés les ponts

les trains ont brûlé bondés

infinis tas de tuiles de pierres restes calcinés de Hiroshima


bientôt des peaux comme chiffons usagés pendent

au bout de mains contre des poitrines

piétinant de la matière cérébrale écrasée

reins enveloppés de tissus brûlés

défilent des corps nus qui marchent en foule et pleurent


corps sur le champ de manoeuvres comme statuettes de

Jizo

la foule entassée au bord du fleuve rampant sur des

radeaux attachés là

sous le soleil brûlant se change au fil des heures en

cadavres

dans le flamboiement qui pénètre le ciel du soir

les endroits de la ville où mère et petit frère furent pris

vivants sous des décombres

se reflètent en brûlant


au milieu d’excréments sur le sol de l’arsenal

sont allongées des étudiantes rescapées

crânes dépouillés, moitiés de corps rouges écorchés,

yeux écrasés, ventres gonflés

en ce grouillement où on ne sait qui est qui je cherche

la lumière du matin

rien ne bouge plus

dans la pestilence stagnante

rien que bruits de mouches volant contre des bassines

en métal


comment oublier ce silence

qui occupait tout entière une ville de trois cent mille

habitants

comment oublier

dans ce calme

l’espoir dont s’emplissaient

à nous briser coeurs et âmes

les orbites blancs de femmes et d’enfants qui ne sont

jamais rentrés ?

...

Tôge Sankichi

 

août 20, 2012

Le contre-ciel

... Poètes, vous êtes, nous sommes honteux -ou trop fiers- de nos corps blanchis, civilisés, trop bien élevés. Sans quoi vous bondiriez, nous bondirions dans la ronde, hurlant notre stupeur de vivre, ici, sur ce boulevard, nous recommencerions le signe de la folie tournante, la vieille Danse, le premier et le plus pur poème...

René Daumal

 

août 09, 2012

Le livre de l'intranquillité

Je suppose que la plupart des gens, croisés au hasard des rues, emportent eux aussi - je le remarque au mouvement muet des lèvres, à l'indécision vague des yeux, ou aux prières qu'ils élèvent bien haut, avec un bel ensemble - un même élan vers cette guerre inutile d'une armée sans bannières. Et eux tous - je me retourne pour contempler leur dos de pauvres gens, leur dos de vaincus -, tous doivent connaître, comme moi, la grande, la sordide défaite, perdue dans la boue et les roseaux, mais sans la poésie des étangs, sans clair de lune pour en baigner les rives - une défaite minable et boutiquière. Ils ont tous, comme moi, une âme exaltée et triste.

Fernando Pessoa

août 03, 2012

W ou le souvenir d'enfance

J'écris : j'écris parce que nous avons vécu ensemble, parce que j'ai été parmi eux, ombre au milieu de leurs ombres, corps près de leurs corps ; j'écris parce qu'ils ont laissé en moi leur trace indélébile et que la trace en est l'écriture : leur souvenir est mort à l'écriture ; l'écriture est le souvenir de leur mort et l'affirmation de ma vie.

Georges Pérec