Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

mai 20, 2013

La maladie et la mort

"Vous devriez ne pas la connaître, l’avoir trouvée partout à la fois, dans un hôtel, dans une rue, dans un train, dans un bar, dans un livre, dans un film, en vous-même, en vous, en toi, au hasard de ton sexe dressé dans la nuit qui appelle où se mettre, où se débarrasser des pleurs qui le remplissent.
Vous pourriez l’avoir payée.
Vous auriez dit : Il faudrait venir chaque nuit pendant plusieurs jours.
Elle vous aurait regardé longtemps, et puis elle vous aurait dit que dans ce cas c’était cher.
Et puis elle demande : Vous voulez quoi ?
Vous dites que vous voulez essayer, tenter la chose, tenter connaître ça, vous habituer à ça, à ce corps, à ces seins, à ce parfum, à la beauté, à ce danger de mise au monde d’enfants que représente ce corps, à cette forme imberbe sans accidents musculaires ni de force, à ce visage, à cette peau nue, à cette coïncidence entre cette peau et la vie qu’elle recouvre.
Vous lui dites que vous voulez essayer, essayer plusieurs jours peut-être.
Peut-être plusieurs semaines.
Peut-être même pendant toute votre vie.
Elle demande : Essayer quoi ?
Vous dites D’aimer."


 Marguerite Duras

La nausée

... Exister, c’est être là, simplement ; les existants apparaissent, se laissent rencontrer, mais on ne peut jamais les déduire. Il y a des gens, je crois, qui ont compris ça. Seulement ils ont essayé de surmonter cette contingence en inventant un être nécessaire et cause de soi. Or aucun être nécessaire ne peut expliquer l’existence : la contingence n’est pas un faux-semblant, une apparence qu’on peut dissiper ; c’est l’absolu, par conséquent la gratuité parfaite. Tout est gratuit, ce jardin, cette ville et moi-même. Quand il arrive qu’on s’en rende compte, ça vous tourne le coeur et tout se met à flotter, comme l’autre soir, au Rendez-vous des Cheminots : voilà la Nausée ; voilà ce que les Salauds – ceux du Coteau Vert et les autres – essaient de se cacher avec leur idée de droit. Mais quel pauvre mensonge : personne n’a le droit ; ils sont entièrement gratuits, comme les autres hommes, ils n’arrivent pas à ne pas se sentir de trop. Et en eux-mêmes, secrètement, ils sont trop, c’est-à-dire amorphes et vagues, tristes...


 J.P. Sartre

mai 13, 2013

Epopopoèmémés

Je ne peux pas dire non

Je ne peux pas dire non aux sons du « merci » dit par Adonis hier matin à la fin d’un dialogue – plutôt monologue – sur France Culture :

Les sons sortent de sa bouche, parmi ses dents, comme des enfants en vacances, sortant parmi les lattes en bois espacées ou cassées d’une haie

Séparant des champs d’herbe, invitant à la découverte.

Je ne peux pas dire non au soleil que je sens en plein éclat ce matin même à Paris – j’ignore complètement la vraie météo

S’opposant au brouillard perlant de mon domicile fixe.

Je ne peux pas dire non à la multiplication des grives dans le jardin et alentour : six il y a une semaine, environ dix ce dernier week-end,

en voilà précisément vingt, tout à l’heure, dans un haut peuplier défeuillé, chez le voisin mort.

Je ne veux plus dire non à la lettre écrite et non-envoyée à Ryoko Sekiguchi – elle va partir aujourd’hui.

Je dis oui à ma propre nouvelle « Jamais l’automne ne fût plus beau » - qui m’a permis pendant les deux heures de son écriture de traverser des champs d’herbe dans le brouillard perlant, à la découverte du soleil, enfant sortant parmi les lattes espacées ou cassées d’une haie entre deux champs.

Je ne peux plus dire non à mon étalage médiatique : je vais faire montrer mon propre brouillard dans la journée lumineuse.

Stalker de mes jours, stalker de mes soirs, stalker de mes aubes.

Je ne peux plus dire non aux mots nés en exil, ni aux mots morts en exil :

Qu’ils viennent à moi, ces éternels enfants !

Ouvrons le cahier, le livre, le dictionnaire. Ouvrons pour que le cahier, le livre, le dictionnaire s’ouvrent !

Des mots et des vers – poèmes sans frontières.

Mon tour – le tour de moi-même – en 80 poèmes !

Titre : le tour de Sanda Voïca en quatre-vingt poèmes. Epopopoèmémés !

Je ne dis pas non aux mots morts – lettres vives quand je les ré-imagine.

J’ai soif de vers : je traverse mon champ d’herbe de ce matin et je vois des vers de terre :

Le brouillard est percé, la lumière inonde la clairière.

 

Sanda Voïca