mai 13, 2011
L'autre pays
Chaque jour, des passereaux volaient en masse noire au-dessus de la ville. Je les observais aller et venir, me demandant quelle langue ces oiseaux dessinaient-ils de leur vol dans le ciel. Comme des signes calligraphiques étranges, ils semblaient tout droits issus de la besace de Dieu.
Je m'essayais alors à écrire un livre dont chaque phrase me blessait. Je buvais au point d'atteindre l'extrémité d'une fêlure très ancienne, irréparable, et me tenais brisée en moi-même. Plus rien ne me faisait souffrir. Ma faim d'absolu me dévorait. Je perdais le sens de ma vie si radicalement que cela me forçait à naître. Bientôt je connaîtrais qu'il existe une forme de désespoir tel qu'il bascule dans la joie. Alors je n'étais point encore assez désespérée. La foi m'abandonnait. Écrire restait mon seul rêve vivant.
Mais lorsque la phrase elle-même devient meuble, c'est le monde entier qui s'écroule.
La violence se levait en moi à la manière d'un mauvais vent.
Encore une fois, l'ombre appelait et ma quête de lumière me conduisait à la mort.
Ce que c'est que de douter jusqu'à la ruine.
Il me paraissait inconcevable alors que notre espèce fut seulement limitée à deux genres : le masculin et le féminin. Manquait fatalement un troisième.
J'étais cette terre desséchée et qui attend son orage.
A-t-on seulement idée de toutes ces poches de larmes que l'on porte au creux de la poitrine et presque à notre issu ?
C'est à cette époque, lors d'un de ces quinze août solitaires et brûlés que, dégagée et désespérée de tout, je me suis approchée au plus près du suicide. "Man's extremity is God's opportunity", dit le proverbe anglais. C'est dans le désastre le plus extrême que s'invente la langue d'espérance.
Et alors regarder l'enfant en soi qui s'ouvre comme un ciel ébloui après l'ondée.
J'ai porté ma soif d'amour, non comme un sentiment, mais comme l'état même de mon être, et la douleur m'a brûlée pour me fondre en or à la manière du feu de l'alchimie les métaux d'autrefois.
Je peux désormais affronter la magnificence brutale du monde. Et ce sont des forces et non plus des idées que je cherche pour avancer.
Il m'est venue depuis une honnêteté de dément car j'ai osé le oui splendide qui fait naître aux éclats.
Ceux qui se donnent entièrement au présent, ceux-là renaissent et possèdent l'avenir.
"Anastasis", la résurrection en hébreu. Je n'ai pas bu le vin du sacrifice, mais le vinaigre du vivre y ai trempé mes lèvres jusqu'à supplier de mourir. J'ai vécu ma passion et j'ai vécu ma Pâques, "Pessah". C'est une traversée qui n'a pas l'éblouissant éclat de la fête mais la force polie et grave de l'usure des jours.
Le présent est une mémoire absolue ruisselante d'une vérité qui est au-delà de tout souvenir.
Lorette Nobécourt
09:18 Publié dans LITTERATURE / Anthologie de Corinne Le Lepvrier