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déc. 05, 2010

La castration mentale

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Autre évidence : l'économique est porteur d'une violence particulière qui, en gagnant la culture, est en train de nous spolier d'acquis si profondément intégrés qu'on pouvait les croire définitifs.
Le problème est que cette violence, plus radicale sans doute qu'aucune autre parce qu'imperceptiblement mortelle pour notre mentalité, est diffuse, progressive, contagieuse et inconnue, de telle sorte que ses victimes peuvent rester inconscientes.
Nous sommes en train de passer du totalitarisme brutal, qui reposait sur la contrainte des corps, à un totalitarisme mental.
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Le monde du décervelage est un monde inconnu. Peut-être un monde sans règles, car le pouvoir y est en contradiction avec les valeurs qui traditionnellement le fondent. Pour la première fois, le pouvoir s'y établit sur la confusion et non plus sur l'ordre. Le pouvoir qui tire sa légitimation de l'économie ne peut se réclamer de la morale que par un abus de langage. Sa seule valeur efficace est le cynisme et le mensonge. Sa violence la plus radicale est de priver de sens tout notre comportement défensif.
 
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La censure s'attaque à la liberté d'expression mais elle ne peut rien contre la liberté de penser. Elle coupe l'identité entre l'intériorité et l'extériorité en suscitant un double langage, qui pervertit le rapport à l'Autre et le lien social. Toutefois, comme sa contrainte est manifeste, elle excite la résistance de ceux-là mêmes qu'elle opprime et décuple leur force.
Le pouvoir a compris depuis longtemps que censurer la liberté d'expression n'était qu'un pis-aller et que, pour être efficace, il lui fallait s'attaquer à la liberté de penser, c'est-à-dire au lieu qui, en chacun d'entre nous, est la matrice du sens.
 
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Le totalitarisme interdit l'opposition, ou la fusille ; le consensus la dilue aussitôt et en efface les effets. Le consensus, ce faisant, bloque la dialectique tout comme le totalitarisme, mais sans exercer la moindre contrainte.
 
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L'invention géniale du pouvoir éconimique est de nous combler avec le trou qu'il creuse en nous et d'installer là un spectacle, qui nous donne à consommer béatement notre propre mort. Nous voici à la fois la bouche et le tombeau où circule un cortège d'ombres qui nous suffit depuis que les stupéfiants médiatiques ont anesthésié tout élan social, toute révolte, toute pensée personnelle.
 
Bernard Noel

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