nov. 21, 2010
Je ramais sur un lac
Je ramais sur un lac. Cela se passait dans une grotte voûtée où il n'y avait pas de jour, et pourtant il faisait clair, une lumière pure et uniforme tombait de la pierre aux reflets bleu pâle. Bien qu'on ne sentît pas de courant d'air, les vagues montaient, mais pas au point de mettre en danger ma barque qui, quoique petite, était solide. Je ramais tranquillement en fendant les vagues, mais je pensais à peine à ce que je faisais, je ne m'occupais que de rassembler toutes mes forces pour absorber le silence qui régnait en ce lieu, un silence tel que je n'en avait jamais trouvé nulle part ailleurs dans ma vie. C'était comme un fruit dont je n'avais jamais mangé et qui était pourtant le plus nourrissant de tous, j'avais fermé les yeux et je buvais le silence. Pas en toute quiétude, à vrai dire, le silence était encore parfait, mais il y avait constamment une menace de trouble, le bruit était encore retenu par quelque chose, mais il était devant la porte, crevant d'envie de se déchaîner enfin. Je lui fis les gros yeux, à lui qui n'était pas là, puis je détachai un aviron de la toletière et, me mettant debout dans la barque qui oscillait, je fis avec mon aviron un geste de menace dans le vide. Le silence durait encore et je continuais à ramer.
Franz Kafka
21:27 Publié dans LITTERATURE / Anthologie de Corinne Le Lepvrier
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