Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

août 14, 2010

Cahier de verdure

Cette fois, il s'agissait d'un cerisier; non pas d'un cerisier en fleurs, qui nous parle un langage limpide; mais d'un cerisier chargé de fruits, aperçu un soir de juin, de l'autre côté d'un grand champ de blé. C'était une fois de plus comme si quelqu'un était apparu là-bas et vous parlait, mais sans vous parler, sans vous faire aucun signe; quelqu'un, ou plutôt quelque chose, et une "chose belle" certes; mais, alors que, s'il s'était agi d'une figure humaine, d'une promeneuse, à ma joie se fussent mêlés du trouble et le besoin, bientôt, de courir à elle, de la rejoindre, d'abord incapable de parler, et pas seulement pour avoir trop couru, puis de l'écouter, de répondre, de la prendre au filet de mes paroles ou de me prendre à celui des siennes - et eût commencé, avec un peu de chance, une tout autre histoire, dans un mélange, plus ou moins stable, de lumière et d'ombre; alors qu'une nouvelle histoire d'amour eût commencé là comme un nouveau ruisseau né d'une source neuve, au printemps - pour ce cerisier, je n'éprouvais nul désir de le rejoindre, de le conquérir, de le posséder; ou plutôt: c'était fait, j'avais été rejoint, conquis, je n'avais absolument rien à attendre, à demander de plus; il s'agissait d'une autre espèce d'histoire, de rencontre, de parole. Plus difficile encore à saisir.

Philippe Jaccottet

Les commentaires sont fermés.