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"Un inventaire derrière une porte"
grincement, toiles d’araignée, chauve-souris, poutres, nids d’hirondelles, paille, crottin sec, mangeoire, selles, harnais, rênes, mures blanchis à la chaux, souris, voiture à cheval, brosse, humidité, porte-manteaux, capes de pluie, brodequins, soupirail, fenêtres, volets fermés, sol de terre battue, niche, cahier, écriture à l’encre, écriture penchée, flacons d’eau de vie, bouteilles vides, petit mot plié entre deux pierres, échelle de meunier, barreaux cassés, trappe à soulever, lampe à pétrole, caisse de bouteilles, bouteilles de bière, épis d’orge, râtelier avec vieux fusils.
"L'histoire derrière la porte" ou
"Le vieux cahier"
La première fois qu’elle s’est approchée de cet endroit perdu, elle a palpé le bois rugueux, desséché et fendillé de cet imposant portail à deux battants. A travers un jour insuffisant baigné par l’ombre de l’intérieur, son regard ne lui offrait que des formes plus imaginaires que réelles. Ouvrir la porte lui demanda plusieurs coups d’épaule, mais le vantail droit céda par à-coups, bloqué par l’irrégularité du sol et des débris de torchis qui avaient comblé la trace ancienne de l’ouverture en arc de cercle. Un grincement enroué témoignait du travail inhabituel des gonds rouillés.
La terre battue était jonchée d’objets hétéroclites, jaillis du passé, ici de vieux brodequins aux lacets pris dans les toiles d’araignée, là quelques bouteilles vides, plus loin des restes de paille et de crottin desséché, et à ses pieds des fientes d’oiseaux. Juste au-dessus de sa tête, accrochés aux poutres d’un vieux plafond blanchi à la chaux, des nids d’hirondelles vides en cette saison, étaient sûrement habités chaque hiver. Les espaces de pénombre se découvraient peu à peu : au fond à droite, une vieille voiture à cheval était couverte d’une telle épaisseur de poussière que la couleur du siège ne se laissait plus deviner. Au pied de l’un des brancards qui reposait sur le sol, une caisse en bois rustique contenait quelques bouteilles de verre fumé à bouchons automatiques. Les rondelles de caoutchouc autour de l’obturateur en porcelaine, devenues dures et cassantes, se désagrégeaient sous ses doigts curieux. Après avoir ôté grossièrement une poussière épaisse et collante sur le verre, elle découvrit les deux épis d’orge et la célèbre marque d’une bière artisanale des années quarante.
Elle se dirigea vers la façade opposée à l’entrée. Un soupirail lançait un faisceau de lumière trouble dans laquelle dansait des milliers de grains en suspension. Elle éclairait faiblement sur le mur d’en face, au creux des moellons descellés, une niche dans laquelle se dessinait un soupçon d’objet sans rapport avec la destination des lieux : un cahier jauni à la couverture grignotée sur les bords. Les pages tombaient en lambeaux, mais l’essentiel était là : des bribes, des dates, des listes, tout cela dans une belle écriture penchée des plus régulières.
Elle s’empara de cet objet et continua d’un coup d’œil circulaire la découverte de cette grange immense. Le vide parfois troublé par des outils oubliés, fers à cheval, arrosoir, pelle, cercle de tonneau, harnais, selles, remplissait tout le ventre de cette étrange caverne. Son regard buta contre un râtelier supportant deux fusils anciens, puis un escalier, plutôt une échelle de meunier, appuyée contre le pignon gauche.
Sous ses pas, les marches craquaient, et la conduisaient à la lourde trappe à soulever pour découvrir tous les secrets de l’étage supérieur.
Elle refit le chemin en sens inverse jusqu’au portail resté ouvert et dans son champ visuel mais sous un autre angle, revisita encore cet antre qu’elle commençait à trouver plus familier. Le vieux cahier, glissé dans son sac à dos, quittait les lieux avec elle.